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Prud’hommes : échapper au barème d’indemnisation ? C’est possible !

Mesure phare des réformes de la fin d’année 2017 affectant le Code du travail, le barème indemnitaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a été instauré par l’ordonnance « relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ».
 
L’idée est simple (ce qui lui a d’ailleurs permis de marquer les esprits) : prévoir les indemnisations possibles en cas de litige pour que chacun sache à quoi s’en tenir.

L’opération de communication semble avoir en l’état relativement bien fonctionné.

Le Code du travail prévoit donc désormais, en fonction de l’ancienneté, un barème prévoyant, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, un minimum et un maximum indemnitaire.

Présentés comme obligatoires, ces barèmes le sont-ils réellement ?
 

Le barème fait et continuera de faire l’objet de recours à moyen terme

Le Conseil constitutionnel a été saisi

 
A la date de publication de ces quelques lignes, le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours à l’encontre de la loi de ratification des ordonnances.
 
Le barème est concerné.
 
Le Conseil constitutionnel procèdera donc à la vérification de la conformité du barème aux dispositions ayant valeur constitutionnel, à savoir : la Constitution de 1958, le préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration des Droits de l’Hommes et du Citoyen.
  

La conformité du barème à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Hommes pose question 

L’article 6 de la CEDH consacre notamment le droit d’accès effectif à un juge. Ce même droit a d’ailleurs été consacré en droit interne français, notamment par le Conseil constitutionnel.
 
Or, au regard du maximum prévu pour les salariés ayant de « petites » anciennetés, la question se pose réellement de savoir si le barème ne porte pas purement et simplement atteinte à ce droit fondamental.
 

Le barème pourrait ne pas être conforme aux engagements internationaux liant la France

Outre la CEDH, d’autres textes internationaux engagent la France.

La convention n°158 de l’OIT prévoit par exemple que le juge saisi de l’appréciation d’un licenciement doit être habilité à « ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
 
De la même manière, l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Or le barème indemnitaire finlandais, prévoyant des niveaux d’indemnisation plus élevé que le barème français a été jugé insuffisant par le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS).

Le syndicat FORCE OUVRIERE a saisi courant mars le CEDS: https://www.force-ouvriere.fr/fo-saisit-le-comite-europeen-des-droits-sociaux

Le lien doit en outre être fait avec la récente jurisprudence de la Cour de cassation au terme de laquelle le licenciement injustifié cause toujours un préjudice qu’il appartient au juge d’apprécier souverainement.
 
La chambre sociale pourrait ainsi avoir annoncé, quelques jours seulement avant la publication des ordonnances, qu’elle comptait bien consacrer l’indépendance du juge dans l’appréciation des préjudices liés à la rupture du contrat ! 


Les indemnisations liées à la formation ou à l’exécution du contrat de travail échappent au barème

Il n’apparaît pas inutile d’enfoncer une porte ouverte : le barème est strictement limité à l’indemnisation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
 
Il est donc possible de solliciter par ailleurs diverses indemnisations qui échappent au barème, que ce soit au titre de la formation du contrat ou de l’exécution du contrat de travail.
 
L’indemnité de requalification d’un CDD en un CDI ne viendra donc pas entamer le barème indemnitaire.
 
L’allocation de dommages et intérêts par exemple pour exécution déloyale du contrat de travail, harcèlement moral, harcèlement sexuel, violation de l’obligation de sécurité, violation des règles relatives au temps de travail, travail dissimulé, discrimination… etc sont également hors barème.
 
De même, des rappels de salaires ne sont pas davantage inclus dans le barème.
 

Le barème connaîtra des exceptions

Les exceptions au barème prévues par la loi

La première des dérogations est légale. Il s’agit de l’article L. 1235-3-1 du Code du travail qui écarte l’application du barème dans les situations suivantes :
 
  • Nullité résultant de la violation d’une liberté fondamentale
  • Nullité résultant de faits de harcèlement moral
  • Nullité résultant de faits de harcèlement sexuel
  • Nullité résultant d’une discrimination
  • Nullité résultant de l’exercice d’une action en justice
  • Nullité résultant de l’exercice d’un mandat
  • Nullité résultant de la dénonciation de crimes et délits (protection du lanceur d’alerte)
 
S’agissant de la violation d’une liberté fondamentale, le spectre peut être assez large… en tout cas il n’est pas dressé de liste exhaustive.
 
Les exceptions au barème que pourrait instaurer (ou maintenir) la jurisprudence
 
A côté des exceptions légales précitées, il semble que la jurisprudence puisse également prévoir des exceptions au barème… et la premier indice résulte bien dans la jurisprudence évoquée ci-dessus quant à l’appréciation souveraine des préjudices par le juge.
 
Ce d’autant que la rédaction même de l’article L. 1235-3 du Code du travail n’interdit nullement d’envisager des indemnisations complémentaires.
 
Il dispose :
 
« Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse (…) le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous ».
 
En aucun cas il n’est indiqué par exemple que :
 
« Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse (…) le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous pour la réparation de tous les préjudices en lien avec le licenciement ».
 
Or, en instaurant un barème sur la base d’un unique critère d’ancienneté, les ordonnances ne couvrent à priori qu’une fraction seulement de entiers préjudices subis en cas de licenciement abusif.
 

L’indemnisation au titre de circonstances vexatoires devrait persister 

Les juges admettent depuis longtemps que le salarié qui justifie, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture, d’un préjudice distinct du licenciement lui-même peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.
 
La jurisprudence va même plus loin en retenant qu’un licenciement peut être vexatoire, bien que reposant sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 22-6-2016 n° 14-15.171).
 
S’agissant de l’indemnisation d’un préjudice déconnecté de l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse, l’indemnisation des circonstances vexatoire n’a pas de raison d’être remise en cause par le barème.
 
Restera à pouvoir caractériser ces circonstances vexatoires et à valoriser le préjudice en résultant. 
 

L’indemnisation de préjudices spécifiques pourrait être possible

L’exemple de l’indemnisation des circonstances vexatoires du licenciement laisse a priori ouverte la possibilité de solliciter l’indemnisation d’autres préjudices spécifiques, à la condition de démontrer qu’ils sont distincts du licenciement.
 
Sur ce point, l’imagination sera au pouvoir.
 
Envisageons la situation d’un salarié qui objective, preuves et décomptes à l’appui, un préjudice financier supérieur au barème applicable.
 
Nul ne peut à ce jour affirmer que la Cour de cassation retiendra une lecture rigide de l’article L.1235-3 du Code du travail au point d’interdire l’indemnisation de préjudices spécifiques.
 
Ce n’est en réalité que dans plusieurs moins (voire plus) que nous serons fixés à cet égard… étant rappelé que la jurisprudence n’est jamais intangible !
 

L’indemnisation sur le terrain de l’abus de droit ?

Relativement peu utilisé dans le cadre de la contestation d’un licenciement, l’abus de droit n’en est pas pour autant inconnu en droit du travail : abus dans la mise en œuvre d’une clause de mobilité, abus du droit de grève…
 
L’abus de droit est d’ores et déjà utilisé en droit des contrats civils ou commerciaux notamment pour sanctionner le comportement d’un cocontractant prenant l’initiative de rompre un contrat : rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur.
 
L’abus du droit pourrait permettre d’apporter un axe de contestation spécifique du licenciement, notamment dans le cas où un employeur notifierait un licenciement sans aucune base au point de pouvoir convaincre le Conseil de Prud’hommes d’un détournement de la prévisibilité apportée par le barème : « au diable le motif ! je licencie pour pas cher ».
 
L’abus de droit pourrait par exemple permettre de sanctionner de manière tout à fait spécifique les licenciements reposant sur de la sous-notation forcée (méthode de management consistant à considérer qu’il y a toujours un pourcentage de mauvais salariés, mal notés, à licencier).
  
Ce levier de l’abus de droit pourrait présenter un intérêt tout particulier dans le cas de faible ancienneté, clairement sacrifiées par le barème sur l’autel d’une prétendue sécurité.
 
***
 
Seul l’avenir dessinera peu à peu le champ des possibles en matières d’indemnisation des préjudices résultant de la rupture du contrat de travail.
 
Et le « slogan » de la sécurisation des relations de travail pourrait à terme s’avérer avoir été un leurre.